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Ergonomique : est-ce le bon mot ?

Depuis de très nombreuses années, le mot ergonomie est rentré dans le vocabulaire commun. Qui n’a jamais entendu parler du dernier coussin ergonomique à même de sauver vos pauvres cervicales malmenées ou encore d’une application avec une ergonomie simplifiant toutes vos interactions ? Dans tous les cas, l’ergonomie c’est bien. Cependant, on peut se poser la question de ce qu’est l’ergonomie et de l’utilisation du terme (et de son adjectif « ergonomique »).

Ergonomie, c’est quoi (mais très rapidement) ?

Revenons un peu à la base, sans passer trop de temps, sur ce qu’est l’ergonomie, ou en tout cas son acceptation par la profession.

Étymologiquement, ergonomie vient du grec « Ergon » qui fait référence au travail ou à l’action, et « Nomos » la loi. Ça ne rigole pas, l’ergonomie c’est la « loi du travail », ou plus humblement la connaissance ou la science du travail !

Le terme ne date pas d’hier, il apparait dès 1850 dans le précis d’ergonomie de Wojciech Jastrzebowski, et fut repris par divers auteurs dans les années suivantes. Mais, ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que le mot ergonomie adopte une définition plus moderne.

Actuellement, la SELF (Société d’Ergonomie de Langue Française) définit l’ergonomie comme « la mise en œuvre de connaissances scientifiques relatives à l’homme et nécessaires pour concevoir des outils, des machines et des dispositifs qui puissent être utilisés avec le maximum de confort, de sécurité et d’efficacité pour le plus grand nombre ».

Quelques concepts

En se basant sur la définition, on perçoit quelques concepts qui nous aideront à bien utiliser le mot ergonomie.

Concept 1 : l’intangibilité scientifique de l’ergonomie

Le début de la définition nous le dit : l’ergonomie c’est « la mise en œuvre de connaissances scientifiques ». Eh oui, ça part fort avec ce début phrase qui introduit deux idées importantes :

  • Premièrement, l’ergonomie est une démarche, une pratique. En ce sens, l’ergonomie est intangible, on ne la voit pas, on ne le touche pas, mais on peut quand même la mettre en pratique.
  • Enfin, l’ergonomie emprunte ses connaissances à la Science et cela dans moult disciplines (psychologie, physiologique, sociologie…). Suivant cette idée, l’ergonomie évolue, car les connaissances scientifiques s’étoffent : cette discipline n’est donc pas figée.

Que peut-on tirer de ces deux points ? Tout simplement plusieurs idées utiles à notre utilisation du terme :

  • Il n’y a pas de bonne ou mauvaise ergonomie, car l’ergonomie est une pratique. Ainsi, la phrase « l’ergonomie de cette application a été très travaillée » n’a aucun sens. Il serait plus adéquat d’indiquer que « cette application a bénéficié d’une démarche en ergonomie pour améliorer son interface ». Pour faire un parallèle avec la santé, on ne dit évidemment pas qu’une personne a une bonne médecine s’il se porte bien…
  • On entend souvent que l’ergonomie c’est une affaire de bon sens. Là encore, on est loin de la vérité, car l’ergonomie est une approche scientifique et sauf erreur de ma part, la science ne valide pas toujours le bon sens populaire.

Concept 2 : l’ergonomie ce n’est pas que pour les fauteuils

Passons au reste de la définition, ou en tout cas une autre partie : « (…) pour concevoir des outils, des machines et des dispositifs (…) ».

Je vous l’accorde, la distinction entre « outils », « machines » et « dispositifs » n’est pas vraiment évidente ; cela fait un peu liste au père Noël… La chose à retenir c’est que l’ergonomie contribue à concevoir des choses, des trucs… Alors quelles peuvent être ces choses et ces trucs ? On peut citer le classique fauteuil, ou l’indémodable oreiller, mais il y a bien plus que cela : logiciels, applications, voitures, avions, salles de contrôle, enceintes connectées, dispositifs médicaux… En fait chaque fois qu’une personne interagit avec un « dispositif », un ergonome est le bienvenu pour améliorer cette interaction. Le champ d’intervention de cette discipline est donc très vaste et ne se limite pas uniquement à la forme des objets.

Il est dommage que la définition n’intègre pas la dimension organisationnelle, où l’ergonomie par des approches de construction sociale contribue à la transformation des organisations.

Donc, globalement, dès qu’un humain interagit alors un ergonome peut intervenir.

Concept 3 : des objectifs qui vont au-delà de la facilité d’utilisation

Continuons notre exploration de la définition : « (…) puissent être utilisé avec le maximum de confort, de sécurité et d’efficacité (…).

Si l’on doit lister les bénéfices qu’une intervention en ergonomie peut avoir, il y a 99% de chances (institut Doigt Mouillé, 2023) que la simplicité ou le confort sortent en premier. Si cela est vrai, il ne faut pas pour autant oublier la notion d’efficacité et de sécurité.

Maintenant que je vous en parle, la dimension efficacité vous revient à l’esprit, mais avez-vous pensé à la sécurité ? Cette dernière est bien souvent zappée, ou en tout cas, pour la plupart des gens, elle ne fait pas partie du Top 10 des avantages que l’ergonomie peut apporter. Ceci est particulièrement vrai dans le cadre de projet numérique grand public : le risque d’incident ou d’accident est assez marginal lors de la consultation d’un site de vente en ligne de chaussures… La situation est très différente pour un projet de conception d’un cockpit d’avion. Heureusement, les industriels travaillant sur des environnements à risques font appel depuis des décennies à des ergonomes pour les aider : nous sommes sauvés…

L’ergonome, dans le cadre de son travail, met en œuvre toute son expertise pour faire cohabiter l’ensemble de ces dimensions ; ce n’est pas toujours facile, mais c’est un professionnel dans ce domaine. Donc si ergonomie est pour vous un synonyme de facilité d’utilisation, alors vous loupez une bonne partie de la partition…

Concept 4 : ergonomie et accessibilité

Enfin, les derniers mots de la définition, « (…) pour le plus grand nombre. », sont une ouverture très intéressante notamment au monde du handicap.

Dans le cadre d’un processus de conception ou d’évolution d’un dispositif, il est important de prendre en compte la diversité des utilisateurs. Si pour des solutions « professionnelles » la segmentation des caractéristiques des utilisateurs est beaucoup limitée que celle du grand public, finalement un peut tout le monde, la notion de handicap est transverse à ces deux mondes.

Selon l’INSEE, en France, environ 4,3 millions de personnes de 20 à 59 ans vivant à domicile ont au moins une limitation fonctionnelle, ou une reconnaissance administrative du handicap ou un handicap ressenti, soit environ 1 adulte sur 7 (INSEE, enquête Handicap-Santé 2008-2009). Et dans le monde pro, 988 000 personnes occupant un emploi sont bénéficiaires d’une reconnaissance administrative du handicap (INSEE, Enquête emploi 2018). Cela fait pas mal de personnes qu’il ne faut pas oublier lorsqu’on travaille sur un nouveau dispositif… et n’oublions pas non plus les séniors…

L’ergonome, associé à un expert handicap/accessibilité, sera le plus à même d’accompagner les concepteurs dans la prise en compte du « pour tous » ou au moins « pour le plus grand nombre ».

Finalement…

Si vous devez retenir une seule idée, c’est que l’ergonomie est une démarche experte qui a de réels bénéfices ; ce n’est pas une simple accroche marketing qu’on brandit en fin de projet.

Pour ceux qui ont un peu plus de mémoire qu’un poisson rouge (cette expression erronée ne leur rend pas hommage…) ou qui n’ont pas eu le courage de lire le texte au-dessus, voici une liste d’éléments en relation avec l’ergonomie :

  • L’ergonomie, c’est une démarche scientifique.
  • Parler de l’ergonomie d’une interface ou d’un produit n’a aucun sens (sauf à faire un raccourci bien fainéant).
  • Pareil pour l’adjectif ergonomique.
  • Les ergonomes ne travaillent pas à concevoir que des fauteuils ou des oreillers. Leurs activités concernent l’ensemble des dispositifs associé à une interaction humaine.
  • L’ergonomie, c’est cool.
  • L’ergonomie a comme avantage notable d’améliorer le confort, la sécurité et l’efficacité d’un dispositif.
  • L’ergonomie doit faire lien avec l’accessibilité et le handicap pour la prise en compte de la plus grande diversité d’utilisateurs.
  • Enfin, on peut ajouter que l’ergonomie est une démarche collective.

Pour finir…

Je vous laisse méditer sur la pertinence des définitions de l’ergonomie des deux principaux dictionnaires…

Larousse

Étude quantitative et qualitative du travail dans l’entreprise, visant à améliorer les conditions de travail et à accroître la productivité.

  • Le but de cette science est de tenter d’adapter le travail à l’homme en analysant notamment les différentes étapes du travail industriel, leur perception par celui qui exécute, la transmission de l’information et, de façon parallèle, l’apprentissage de l’homme qui doit s’adapter aux contraintes technologiques.)
  • Ergonomique : se dit d’un appareil, d’un matériel dont la forme est particulièrement adaptée aux conditions de travail de l’utilisateur.

Le Petit Robert

Étude scientifique des conditions de travail et des relations entre l’être humain et la machine.

  • Adaptation d’un environnement de travail (outils, matériel, organisation…) aux besoins de l’utilisateur (l’ergonomie d’un siège).
  • Ergonomique : relatif, conforme à l’ergonomie.
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